
Parmi les chansons d’auteurs francophones, Il neige, de Voyou est un coup de cœur.
Tout commence par une magnifique et longue intro, de piano, seul, aux airs de Debussy, de cinquante-cinq secondes. Vient ensuite une voix claire et chaleureuse, rejointe, longtemps après, vers trois minutes, par une basse. La fin est napée d’un son électronique discret et jouissif.
Le morceau est parsemé par quelques bruits d’ambiance d’enfants qui jouent. Tout est là pour capter notre attention et nous plaire.
Il faut le faire pour pouvoir tenir l’auditeur aussi longtemps dans un tel dépouillement. Pour ma part, c’est pari tenu. J’aime.
Dans cet article, le but de l’exercice est de faire l’analyse d’une chanson au niveau du texte, de la structure, et de la mélodie pour en apprendre davantage sur ce qu’elle contient et à propos de la manière dont elle est créée par l’artiste.
Je vous propose de la découvrir sans plus attendre :
Chansons d’auteurs francophones : Il neige, de Voyou
Voyou, de son vrai nom Thibaud Vanhooland, est originaire de la banlieue lilloise.
Son père, professeur de musique et amateur de jazz et de classique, l’initie très tôt à la trompette. À cinq ans il rentre au Conservatoire, tout en chantant dans une harmonie locale multi générationnelle.
Il devient de ce fait avant tout musicien et est aujourd’hui multi-instrumentiste et arrangeur.
Quand il déménage à Nantes, à 12 ans, Voyou monte son premier groupe de rock.
Il collabore alors avec trois formations : le groupe de rock Rhum for Pauline, le duo pop Elephanz et le projet électro Pegase. Le premier lui a appris le travail acharné. Le deuxième, l’efficacité imparable d’une mélodie pop. Le troisième, l’attention qu’il faut accorder au travail du son.
Fort de ses expériences il ressentira un besoin impérieux de se lancer seul.
Après un premier EP en 2018, il sort son premier album « Les bruits de la ville » en 2019, sur lequel on retrouve le titre « Il neige ».
Vous êtes libre de cliquer sur l’album.
Sa musique oscille entre chanson naturaliste et électro chaloupée.
Les textes de l’album sont positifs, bienveillants et poétiques.
Il est soutenu par une voix aux intonations singulières et par des mélodies et des arrangements subtils.
Le morceau « il neige » est dans un rythme en quatre temps.
La mesure à quatre temps est en principe une mesure qui contient un temps fort suivi de trois temps faibles. La conséquence de ce principe est que le temps fort d’une mesure à quatre temps se répète théoriquement tous les quatre temps (fort/faible/faible/faible).
Le piano joue seul pendant dix-huit mesures de quatre temps. Il y a un silence en fin de seizième mesure. La voix de Voyou commence sur le premier temps, deux mesures après ce silence.
Chansons d’auteurs francophones : les deux premier couplets d’Il neige de Voyou
Endormie depuis de longs mois (8) Ville on s'agace (4) Quand on parle de toi (6) L’hiver a duré trop longtemps (8) Et les passantes (4) Affairées dans tes rues (6) Ne te regardent plus (6) On ne t'aime plus (5) On te traverse (4) Sans prendre le temps (5) D'admirer tes talents (6)
Les strophes, vers et rimes
Le dessin des strophes est assez inhabituel. Nous avons d’abord trois lignes, puis cinq, puis à nouveau trois. Il y a une logique, atypique. Si je ne me trompe pas, cela n’est sans doute pas voulu mais cela s’est imposé au fur et à mesure, en fonction du sens que Voyou voulait donner au texte.
Une strophe est un groupement organisé de vers pouvant comporter une disposition particulière de rimes. Les strophes sont séparées, dans un poème tel qu’édité actuellement, par une ligne blanche. Dans des éditions anciennes, l’existence de la strophe pouvait n’être repérable que par sa cohérence interne (par exemple par la ponctuation ou la disposition rimique).
Un vers commence par une majuscule et se termine par une homophonie, c’est-à-dire un même son que l’on retrouve dans le poème. C’est ce qu’on appelle les rimes.
Un vers est une ligne de mots dans un poème ou une chanson poétique. Chaque vers a un sens à lui seul.
Le vers se délimite par son nombre de syllabes (on parle de pieds en poésie).
Les syllabes
Le nombre de syllabes, représenté par les chiffres entre parenthèses, est inégal en poésie, le vers fait 9 pieds, et non en chanson, qui fait 8 syllabes, car le e muet ne se calcule pas.
Pour rappel, en poésie, le pied est l’unité rythmique d’un vers ou d’une phrase en permettant la scansion, comprenant un nombre déterminé de syllabes. Il n’existe que dans les langues dont la prosodie comprend des oppositions de quantité (vocalique ou syllabique), comme le latin et le grec ancien. Par exemple Endormi c’est En Dor Mi e, qui fait quatre pieds. On parle de tétrasyllabe.
Un tétrasyllabe est un mot ou vers composé de quatre syllabes.
En chanson, c’est l’écoute qui compte. Quand on chante on dit En dor mi.
Pour compter les syllabes, il y a deux règles à savoir :
- On ne compte pas les e suivis d’une voyelle, comme dans la phrase « Ville on s’agace ».
- On ne compte pas le e à la fin d’un vers, comme dans la phrase « Ville on s’agace ». Cela s’appelle une apocope. Cependant, au niveau de la prononciation, Voyou prend le parti de prononcer cette voyelle et augmente artificiellement le nombre de syllabes. On passe de quatre à « cinq syllabes ».
Nous avons d’abord huit syllabes sur quatre temps avec la phrase « Endormie depuis de longs mois ».
Ville on s’agace a quatre pieds et est chantée sur trois temps. Il y a un temps de silence puis commence la phrase « Quand on parle de toi », à nouveau dite sur trois temps en ayant six pieds.
Je ne vais pas faire cette analyse de rythme et de syllabes pour le reste de la chanson. Je vous laisse le loisir de le faire de votre côté.
Chansons d’auteurs francophones : le refrain d’Il neige de Voyou
Quand d’un coup miracle Il neige Et par la force des choses On lève les yeux au ciel Et le sourire aux lèvres (A) On te regarde renaître (A) Sous une pluie de paillettes (A) Les cœurs se soulèvent (A) Et dans un grand silence (B) On retombe en enfance (B)
Pour le refrain, analysons les rimes.
Il commence par de la prose dans les quatre premières phrases.
La prose, c’est une manière d’écrire qui n’est pas assujettie à une certaine mesure, à un certain nombre de pieds et de syllabes, etc.
J’aime bien cette prise de liberté qui est contrebalancée par le reste du texte en vers. En effet, par la suite on a des rimes continues avec quatre rimes en è (AAA). Nous sommes ici dans une assonance car seules les voyelles des syllabes correspondantes sont identiques.
Puis nous avons deux rimes riches en ence et ance (BB). Les rimes riches sont des rimes dont la répétition porte sur trois phonèmes ou plus (incluant la dernière voyelle tonique). E nc e et a nc e.
Chansons d’auteurs francophones : les deux derniers couplets d’Il neige de Voyou
Soudain vêtue d'un voile blanc Ville tu rayonnes Au milieu de la nuit Ce soir c'est toi la plus jolie Même tes poubelles Qu'on ignorait la veille Sont devenues des visages Qui dégueulent des nuages On te traverse et Ce soir on prend le temps D'admirer tes talents
Rien de particulier ici à part une liberté que je n’aurais peut-être pas prise. Il a mis une syllabe qui a le même son que la précédente dans la phrase « On te traverse et ».
Généralement, on essaie d’éviter ce genre de choses car la différence entre les deux mots dans la prononciation est difficilement audible pour les auditeurs. On a l’impression d’entendre « On te traverser ».
Je pense que je l’aurais supprimé et j’aurais gardé la prononciation qu’il a fait dans les premiers couplets car cela n’apporte pas de sens supplémentaire important.
Chansons d’auteurs francophones : le deuxième et dernier refrain d’Il neige de Voyou
Car cette nuit miracle Il neige Et par la force des choses On lève les yeux au ciel Et le sourire aux lèvres On te regarde renaître Sous une pluie de paillettes Les cœurs se soulèvent Et dans un grand silence On retombe en enfance
Au niveau du sens du texte tout semble être au premier degré de lecture. Pour ma part, j’ai un faible pour les textes à plusieurs degrés de lecture mais je me laisse facilement emporter par un texte poétique qui décrit un état d’âme et une situation avec de belles métaphores.
Une métaphore, c’est l’emploi d’un terme concret qui exprime une notion abstraite par substitution analogique, sans qu’il y ait d’élément introduisant formellement une comparaison.
Par exemple « un voile blanc » et « une pluie de paillettes » sont des métaphores désignant la neige.
Grâce à la neige les gens retrouvent du plaisir, après la longueur maussade de l’hiver, à être dans leur ville et la redécouvrent sous un autre jour. La neige embellit soudainement leur quotidien et leur rappelle des souvenirs d’enfance agréables.
C’est un texte simple qui semble correspondre à son auteur.
En plus d’être auteur-compositeur-interprète et multi-instrumentiste, Voyou a une identité visuelle chamarrée reconnaissable entre tous. Il dessine lui-même les pochettes de ses albums et de ses clips.
Dommage d’ailleurs que Voyou n’ait pas fait un clip plus élaboré. Cependant, cela permet de se laisser emporter dans un imaginaire agréable.
Cet artiste est impressionnant de par la clarté du persona qu’il incarne. Un mec sympathique, marrant, qui ne se prend pas au sérieux, qui est bienveillant dans ses textes, sa musique et sa sensibilité. Un gars avec qui on deviendrait volontiers copain.
Merci Voyou et longue via à toi !
Avez-vous aimé cette analyse ? Trouvez-vous d’autres points remarquables ? Que pensez-vous de cette chanson et de Voyou ? Dites-moi tout dans un commentaire en bas de cette page.
Je vous invite également à écouter mon premier album 12 titres de chanson française en cliquant sur la clé ci-dessous. N’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez sur ma page Facebook.

Un morceau tout à fait atypique, vraiment original et tout en sobriété, très efficace ! Merci Guillaume pour cette découverte.