
Parmi les chansons d’auteurs francophones, Un déluge, de Bertrand Belin a été, pour moi, un morceau phare.
En 2012, à l’affut de nouveaux artistes de la scène francophone, je tombe sur ce titre. Pour ma part, cela annonçait la venue d’une nouvelle génération d’auteurs-compositeurs-interprètes dans un style que j’affectionne.
Bertrand Belin a une voix grave, un persona classe et sobre, des paroles que l’on comprend en partie et une part de mystère, une composition « simple » et efficace. Le bonheur.
Ce titre, je l’ai écouté en boucle, jusqu’à l’usure. Je le redécouvre avec plaisir aujourd’hui pour vous faire part de mon enthousiasme et de mon recul face à lui.
Dans cet article, le but de l’exercice est de faire l’analyse d’une chanson au niveau du texte, de la structure, et de la mélodie pour en apprendre davantage sur ce qu’elle contient et à propos de la manière dont elle est créée par l’artiste.
Je vous propose de la découvrir sans plus attendre :
Chansons d’auteurs francophones : Un déluge de Bertrand Belin
Bertrand Belin est auteur-compositeur-interprète français né le 7 décembre 1970 à Quiberon en Bretagne. Il a créé son premier album, Bertrand Belin, en 2005. Le premier album à être salué par la critique est Hypernuit en 2010. En 2013 il sort son magnifique album Parcs sur lequel se trouve le titre : Un déluge.
Voici la liste de ses albums sur lesquels vous êtes libre de cliquer :
2007 : La perdue
2010 : Hypernuit
2013 : Parcs
2015 : Cap Waller
2019 : Persona
Dans la chanson « Un déluge », on est dans une mesure à 4 temps au niveau du rythme. Dès la première note, vous pouvez remarquer un cycle de 4 temps. Le premier temps est marqué par la batterie. Je vous invite à faire l’exercice en comptant à voix haute.
La chanson commence avec la batterie et la guitare, rejoint rapidement par la basse.
Un gimmick musical arrive dans les cinq premières secondes et revient tout au long de la chanson, ce qui est très efficace pour marquer les esprits et avoir une impression de cohérence musicale.
Il commence avec un couplet assez atypique car les phrases ont toutes des pieds différents. Je le découvre en même temps que vous.
Pour ma part, j’écris toujours mes paroles en comptant le nombre de pieds. J’établis un schéma métrique au fur et à mesure. Je scande à voix haute en rendant ce schéma apparent.
Chansons d’auteurs francophones : structure rythmique de la première partie du premier couplet d’Un déluge de Bertrand Belin
Dans la première phrase, voici les syllabes décortiquées :
Je (1 syllabe) Vais (1 syllabe) Te (1 syllabe) Trouver (2 syllabes)
Les syllabes sont le nombre de sons formant une voyelle.
Comme toutes les phrases ont un nombre de syllabes différentes, cela devrait donner un rythme qui n’est pas harmonieux.
Mais il y a des astuces pour combler le nombre de pieds différents :
Je vais te trouver (5) C'est certain (3) Tu ne peux pas être bien loin (8)
Bertrand Belin met une silence après vais dans la phrase « Je vais ͜ te trouver » et prolonge le dernier e de trouver. C’est comme s’il disait trouvéer. On a alors 5 pieds qui se mettent sur 6 temps.
La phrase « C’est certain », qui a 3 pieds, respecte le rythme avec son nombre de pieds (il n’y a pas de silence ou de prolongation de lettres dans le chant).
Les deux phrases « Je vais te trouver » et « C’est certain » ensembles font, de ce fait, 8 pieds sur 9 temps.
Elles se terminent un temps plus loin que les 8 temps du rythme général. Il peut se le permettre car il reprend le chant 2 mesures de 4 temps plus tard.
De ce fait, il doit compenser en prolongeant la lettre ê de être dans la phrase suivante, « Tu ne peux pas être bien loin ».
C’est comme si le mot s’écrivait « Tu ne peux pas êêtre bien loin » Cela permet à la phrase de coller au rythme, de 9 temps, avec 8 pieds, comme les deux premières phrases « Je vais te trouver » et « C’est certain » ensembles. Mais, il se permet ici aussi de prolonger le mot loin en disant loiin et on arrive alors sur 10 temps.
Ces petites différences font qu’il n’y a pas de sensation de monotonie mais une richesse au niveau du phasé. Il y a des latitudes.
Structure rythmique de la deuxième partie du premier couplet
Étouffant tes rires d'enfante (7) Allongée sur le ventre (6)
Il ne prononce pas les e muets à la fin des phrases. C’est un style que j’affectionne. L’inverse était fort utilisé avant, dans de grandes chansons mais j’aime également le parti pris de chanter « comme on parle ».
Dans la phrase « Étouffant tes rires d’enfante » il prolonge la première lettre É sur 2 temps, comme le a d’enfante. C’est comme s’il disait « Éétoufant tes rires d’enfaante ». Cette phrase de 7 pieds court sur 10 temps. Vous pouvez compter sur les doigts 😉
Pour la dernière phrase de 6 pieds, « Allongée sur le ventre », il prolonge le e de « allongée ». C’est comme s’il disait « Alongéee sur le ventre » pour correspondre, à peu près, au même rythme de 10 temps.
Vous remarquerez que dans une chanson, on cherchera toujours à entrer dans la rythmique en utilisant différents procédés afin d’être dans la mélodie.
Ce schéma se fait normalement de manière plus ou moins intuitive.
Chansons d’auteurs francophones : Deux méthodes de structures dans Un déluge de Bertrand Belin
Pour ma part, je procède généralement selon deux méthodes :
- J’essaie d’abord de dire ce que je veux vraiment dire sans faire attention aux pieds.
Mais je compte dès que j’ai le premier couplet pour respecter ce premier schéma dans le couplet suivant. Cela permet de donner une belle forme au texte.
Belle forme avec le nombre de pieds différents :
Premier couplet Bla bla bla bla bla (5) Bla bla bla bla (4) Bla bla bla (3) Bla bla bla bla bla bla (6)
Deuxième couplet Bla bla bla bla bla (5) Bla bla bla bla (4) Bla bla bla (3) Bla bla bla bla bla bla (6)
Forme à retravailler car rien ne correspond :
Premier couplet Bla bla bla (3) Bla bla bla bla bla (4) Bla (1) Bla bla bla bla bla bla bla bla (8)
Deuxième couplet Bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla (11) Bla bla bla (3) Bla bla bla bla bla (5) Bla bla (2)
Dans la forme à retravailler, on voit que les deux couplets n’ont pas une belle forme interne, ni entre eux deux. On ne pourra pas rattraper le coup même en usant de silences ou de prolongations de lettres. Il n’y a pas de rythme possible, sauf si on est adepte de constructions rythmiques paradoxales.
Un forme harmonieuse de votre texte, d’un point de vue visuel, garantit généralement un rythme « agréable à l’oreille ».
2. Soit je mets le même nombre de pieds, ce qui crée un rythme assez carré dès le départ mais qui est parfois trop académique et qui peut brider le sens que l’on veut mettre dans le texte. Cela peut être un jeu de contrainte voulue.
Belle forme avec le même nombre de pieds :
Premier couplet Bla bla bla Bla bla bla bla Bla bla bla Bla bla bla bla
Deuxième couplet Bla bla bla Bla bla bla bla Bla bla bla Bla bla bla bla
Bertrand Belin a opté pour la première méthode, avec des couplets plus aléatoires, tout en optant pour un refrain plus carré. Le mélange des deux méthodes est assez courant.
Il dit ce qu’il veut dire sans se soucier réellement des pieds, tout en les faisant entrer dans le rythme avec des silences ou des prolongations de voyelles. Puis, pour le refrain, on est sur une autoroute.
Je vous rassure, je ne vais pas faire ce décorticage fastidieux pour le reste de la chanson. Vous avez compris le principe.
Je vous laisse le plaisir de faire l’exercice pour les prochains couplets et refrain de votre côté 😉
Le pré-refrain
Je vais te trouver (5) Je vais te trouver (5)
Le pré-refrain : c’est une partie optionnelle qui vient s’interposer après le couplet et avant le refrain. C’est une phase musicale dynamique et ascendante qui va permettre une transition fluide entre le couplet et le refrain.
Pour en savoir plus sur la structure et savoir comment écrire les paroles d’une chanson je vous invite à lire également l’article Comment écrire les paroles d’une chanson en 12 conseils
On remarque que le gimmick musical du début correspond au rythme du pré-refrain. Ils sont, ici, chantés ensemble. On avait donc dès le début de la chanson, ce pré-refrain sans les paroles. On peut s’amuser à remettre le morceau au début en chantant le pré-refrain manquant sur le gimmick du début.
Le refrain
Un déluge pour toi (5) Un déluge pour moi (5) Pour nous un déluge (5)
On voit que Bertrand Belin a effectivement opté pour un refrain plus carré avec à le même nombre de syllabes.
On a un effet de delay assez jouissif qui vient s’ajouter sur la guitare à ce moment-là.
Le delay est un effet audio basé sur le principe de la chambre d’écho. Il permet de décaler un signal dans le temps entre son arrivée à l’entrée du delay et sa sortie, puis de le répéter régulièrement tel un écho.
Le fond du texte « Un déluge » de Bertrand Belin
Rien de révolutionnaire concernant la structure du deuxième couplet. Sauf, la dernière phrase qui correspond au rythme de 9 temps avec ses 9 pieds. Pas besoin pour celle-ci de sliences ou de prolongation de lettre.
Toute la soirée (4) J'ai cherché (3) Mon cœur ne s'est pas emballé (8) Par ma bouche l'air de l’été (7) Jaillit comme un sifflet de gaieté (9)
On va en profiter pour analyser le fond du texte :
Bertrand Belin a un problème. Il n’arrive pas à retrouver une personne.
Au premier degré de lecture, on dirait que la personne se cache volontairement, qu’elle joue. Elle étouffe ses rires pour ne pas se faire repérer. On n’est pas dans un problème grave mais plutôt dans une simplicité, une légèreté. Il décrit un tranche de vie, un moment. Ils jouent à cachecache, selon moi.
Il dit qu’il a cherché la personne toute la soirée mais qu’il a été patient. Il a pris du plaisir à jouer en cette période d’été. On dirait qu’il est exténué de courir et de chercher car l’air sort de sa bouche comme un sifflet.
Je vais te trouver Je vais te trouver
C’est généralement ce qu’on se dit quand on joue à cachecache. On peut imaginer le dire à voix haute, comme pour prévenir l’autre de notre venue et futur réussite.
Un déluge pour toi Un déluge pour moi Pour nous un déluge
Le sens du premier degré ici est moins évident. Le premier degré et le deuxième s’entremêlent. Il s’agit peut-être d’un déluge de sensations. Ils sont submergés par les sentiments.
La résolution
Je t'ai retrouvé Je t'ai retrouvé
Ca y est, la résolution du problème de base est là. Il a retrouvé la personne. C’est un déluge d’émotions pour elle et lui.
D’un point de vue de second degré de lecture, on peut imaginer que ce sont deux personnes qui se sont perdues de vue depuis un moment et qu’ils ont une grande joie de se retrouver.
Cette lecture semble correspondre au clip qui montre que Bertrand Belin cherche son amie parmi la foule, qu’il traverse une partie de vie sans l’être aimé. Ce sont deux âmes sœurs que la vie a séparée, pour finalement se retrouver et continuer le chemin ensemble, ce qui est symbolisé par la voiture.
Cependant, leur Idylle retrouvée semble de courte durée car une autre voiture leur fonce dessus. Leurs retrouvailles n’étaient peut-être pas une bonne idée après tout et cela va se transformer en catastrophe. Mais son amie donne un coup de volant salutaire et évite l’obstacle.
Il y a un léger sourire à la fin. Il sortent grandis de cette nouvelle épreuve.
Le côté déluge dans le clip est plutôt intérieur car il n’y a pas d’effusion de sentiments. Tout est en retenue.
Un déluge pour toi Un déluge pour moi Pour nous un déluge Un déluge pour toi Un déluge pour moi Pour nous un déluge
Au niveau des rimes c’est assez classique. Il fait rimer les fins de phrases au niveau des couplets. On dit que les rimes sont continues.
Dans le pré-refrain et le refrain il y a des rimes continues et des rimes internes par répétition des mêmes mots.
Pas de grande recherche à ce niveau-là mais cela correspond bien à l’état d’esprit de la chanson, la simplicité.
Avez-vous aimé cet article? Trouvez-vous d’autres points remarquables à propos de la structure? Que pensez-vous de cette chanson? En aimez-vous l’ambiance, le style qui s’en dégage? Dites-moi tout dans une commentaire en bas de cette page!
Je vous invite également à écouter mon premier album 12 titres de chanson française en cliquant sur la clé ci-dessous. N’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez sur ma page Facebook.

Merci Guillaume pour cet article et cette analyse de la chanson, très fouillée. C’est un artiste que j’apprécie beaucoup et j’étais très content de pouvoir découvrir le clip que je n’avais jamais vu et qui porte vraiment la chanson. Un clip décalé mais qui reste sobre et efficace. Ce qui est intéressant aussi chez lui c’est effectivement la grande part de mystère qu’il entretient dans beaucoup de ces textes et surtout la manière dont il met cela en scène. Ses chansons sont denses et portées par une voix vraiment singulière, unique. Et puis le gars a une vraie classe, faut quand même le dire aussi. C’est un chanteur mais c’est aussi une sacrée gueule d’acteur et que dire de ses talents d’écrivain?
Hello Quentin. Merci pour ton retour. Heureux de t’avoir fait découvrir ce clip. Oui, Bertrand Belin a plusieurs belles cordes à son arc. Hâte de découvrir la suite.
Oui, j’ai beaucoup aimé cet article ! J’écris de la poésie alors bien des remarques ont trouvé un écho dans mon univers ????. Je découvre aussi un nouveau chanteur. Sa personnalité me plaît a priori, mélange de simplicité et de professionnalisme. Cependant il faut que j’écoute d’autres chansons pour découvrir son monde musical.je saurai ainsi si je l’adore ou pas! Ce que je retiens surtout, c’est la qualité de votre analyse !
Bonjour Marie Véronique. Merci beaucoup pour votre commentaire. La poésie n’est pas loin de la chanson, vous devriez essayer 😉 Heureux de vous avoir fait découvrir Bertrand Belin. Je vous invite à aller écouter également Hypernuit et Le mot juste qui sont deux autres titres que j’affectionne particulièrement de lui. A bientôt sur Méthode Chanson.